Une histoire familiale

Gaston a travaillé dur toute sa vie. Il s’est accroché à son projet, s’est battu comme un lion, son épouse à ses côtés, pour développer son entreprise, nourrir sa famille et aussi transmettre quelque chose à ses enfants.

Ce quelque chose, ce sont deux entreprises, fruits de son labeur acharné.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.

A tel point que la famille est rongée par les conflits.

L’appel au secours

C’est Cathy, la « petite dernière » de 41 ans, qui m’appelle.
Ses propos sont confus. Je lui propose alors de venir jusqu’à mon bureau pour m’expliquer posément ce qui la secoue de la sorte.

Le jour dit, elle est encore dans un état de grande agitation qui rend ses explications difficiles à suivre. Nous prenons un moment pour faire baisser l’anxiété par un bref exercice de respiration consciente.
Elle me relate une situation de tension intense dans les liens familiaux, au point que les réunions familiales sont progressivement devenues intenables et n’ont actuellement plus lieu.

Cette situation afflige fortement ses parents et elle me demande de trouver une solution pour apaiser les conflits. Sa maman rêve de pouvoir à nouveau réunir ses enfants dans un climat serein.

Elle m’explique l’histoire de l’entreprise familiale, sa composition, ses particularités. Un schéma, préparé par ses soins, m’offre une première approche de la situation. C’est une très bonne base de travail pour moi. Nous nous appuyons sur ce schéma pour tenter de comprendre les différentes relations intrafamiliales et éclaircir les rôles de chacun au sein des entreprises : qui s’entend avec qui, qui est en conflit avec qui, sur quel sujet, qui travaille avec qui, avec quelles compétences et quelles difficultés, …

C’est un véritable imbroglio et les explications qui me sont fournies par Cathy ne me permettent pas encore d’identifier clairement la ou les sources de conflit.

Une première étape pour y voir plus clair

Cathy me demande de les aider, mais les moyens d’y parvenir sont retreints car la famille est repliée sur elle-même, sur sa souffrance. Impensable donc, dans un premier temps, d’organiser une réunion plénière. Je propose alors d’établir un « diagnostic intersubjectif » en récoltant les témoignages de chaque membre de la famille, de manière à rassembler les éléments pouvant me permettre de comprendre ce qui dysfonctionne et crée de telles tensions. Cette option semble la seule possible.

Cathy va ainsi contacter chacun des membres de la famille impliqué ou impacté par la situation. Cela recouvre le couple parental, les quatre enfants, les conjoints des enfants. La génération suivante ne sera pas incluse dans ce processus.

Cette étape demandera du temps. L’organisation des rendez-vous est difficile, et les informations de contact me parviennent très lentement. L’intensité des tensions semble avoir rendu tout mouvement d’ouverture terriblement pénible, comme si toute cette famille était embourbée et incapable d’agir, de s’ouvrir et de participer activement.

Lorsque les entretiens individuels débutent, ma compréhension des enjeux familiaux se fait plus précise au fil des échanges, mes questions aidant mes interlocuteurs à me fournir des informations utiles.

Ce qui apparaît : c’est au cœur de l’entreprise que se trouve le nœud du conflit !

Plusieurs points de cristallisation des conflits sont apparus au cours des différents entretiens mettant au jour un écart manifeste entre le fonctionnement de l’entreprise tel que décrit par les statuts et la réalité vécue par ses membres.
Cette distorsion crée alors un décalage entre ce qui est attendu des uns par les autres et la réalité, induisant un climat de forte tension entre les membres de la famille.

Dans ce contexte, les  conflits émergent facilement et atteignent une ampleur telle que plus aucune communication sereine n’est possible et plus aucune décision collégiale ne peut se prendre.

Des décisions qui devraient être prises collégialement sont prises individuellement, engendrant, de ce fait, davantage de tensions encore.

Enfin, le fonctionnement actuel de l’entreprise ne respecte ni ses propres statuts ni certains prescrits légaux, ce qui laisse les membres de l’entreprise démunis, faute d’un cadre clair pouvant servir de point de repère à la résolution de conflit.

Comment en est-on arrivé là ?

La transmission intrafamiliale d’un dirigeant unique (Gaston, dans ce cas-ci) à un système collégial de prise de décision (la fratrie, ici composée de quatre enfants) n’a pas fonctionné. La collégialité prévue dans les statuts s’est muée en système hiérarchisé, cette transformation n’ayant fait l’objet d’aucune explication ou consensus au sein de la famille et d’aucune traduction statutaire.

Et ensuite, que fait-on ?

A ce stade, nous proposons une réunion aux membres de la famille qui sont associés au sein de l’entreprise, c’est-à-dire qui détiennent des parts de l’entreprise et/ou y ont un poste d’administrateur.

Cette réunion a pour but d’expliquer ce qui crée les conflits et la manière dont nous avons pensé un accompagnement sur mesure pour sortir de l’impasse. Celui-ci comportera deux axes majeurs. 

Dans un premier temps, il s’agira de revenir ensemble sur les éléments qui suscitent des réactions émotionnelles intenses au point de bloquer toute communication et possibilité de solution. L’objectif est de donner de la place, en toute sécurité, à la confrontation saine et utile des idées afin de développer la coopération.

Les aspects légaux devant être respectés, ainsi que ceux ayant trait à la gouvernance de l’entreprise en général et à la résolution des conflits en particulier, seront également abordés.

Seront également évoqués les principes de base de bonne gouvernance ainsi que la question des conflits familiaux qui prennent naissance dans la vie privée et dans l’histoire familiale et qui encombrent les échanges professionnels.

L’objectif est de donner de la place, en toute sécurité, à la confrontation saine et utile des idées afin de développer la coopération.

Ensuite, nous aborderons les différentes options qui s’offrent à eux pour apaiser la situation actuelle et poser de nouveaux principes de fonctionnements.

Selon le choix opéré, un accompagnement pourra alors être mis en place avec plusieurs intentions-clés.

Il s’agira d’améliorer les conditions de la prise de décision par une formation des membres de l’entreprise aux principes de base de la gouvernance. Leurs décisions seront ainsi conformes aux prescrits légaux régissant le fonctionnement de l’assemblée générale des actionnaires et de l’organe d’administration (ou conseil d’administration).

Un accompagnement les aidant à communiquer davantage et de façon plus constructive au sein de l’entreprise, et si nécessaire en-dehors de celle-ci, sera également un point important du suivi proposé.

A titre temporaire, un espace de parole sera ouvert pour exprimer et apurer les différends familiaux afin qu’ils ne puissent plus avoir de répercussions délétères sur la sphère de l’entreprise.

Enfin, un ou plusieurs documents écrits pourraient être établis,  régissant leur mode de fonctionnement et rappelant les dispositions légales applicables, en vue d’éviter ultérieurement toute tension inutile. Ce type d’écrit offre en effet un cadre, ainsi que des modalités auxquelles se référer, ce qui pourrait s’avérer crucial en situation de crise.

Les objectifs poursuivis

  • Améliorer les conditions de prises de décisions
  • Respecter les dispositions légales obligatoires
  • Communiquer utilement dans et hors entreprise
  • Augmenter l’efficacité de la collégialité

(Les signes distinctifs des personnes et situations qui ont inspiré cet article ont été modifiés.)