Isabelle et Julien, renaissance d’un couple qui ne tenait plus qu’à un fil

Isabelle et Julien, renaissance d’un couple qui ne tenait plus qu’à un fil

Photo de Claudio Mota – Unsplash

Introduction

Cette fois, j’ai décidé de vous relater un accompagnement particulièrement intéressant. Cet article bénéficiera d’un format particulier puisque j’ai pu garder des contacts avec le couple après la fin de l’accompagnement. Leur travail m’avait impressionnée et quand il a été question de le boucler, j’ai eu l’idée de leur ai demander s’ils seraient d’accord de répondre à quelques questions en vue d’un article que je souhaitais publier. Ils ont accepté et nous avons laissé s’écouler quelques mois entre la dernière séance de travail et l’envoi des questions sur lesquelles je leur proposais de se pencher.

Ce qui suit relate cet accompagnement, en version expurgée, en croisant nos trois points de vue.

Les éléments saillants de la situation du couple

Isabelle et Julien ont tous deux la cinquantaine. Ils ont deux enfants majeurs, un garçon et une fille, vivant encore sous le toit familial bien que déjà très autonomes.

Le couple a déjà connu une crise quinze ans plus tôt. Il s’en est sorti, mais probablement abimé. Et la crise actuelle, selon eux, est notamment une conséquence tardive de cette première crise dont ils n’ont pas suffisamment pris soin.

D’entrée de jeu, Isabelle m’explique que la communication au sein du couple est déficiente. Julien parle très peu et elle ne sait plus comment améliorer cet aspect du couple.

La sexualité du couple a quasiment disparu, tous deux ont des vies professionnelles très denses, des amis personnels…

Julien a fréquenté des prostituées et Isabelle a découvert l’orgasme par hasard, dans un bain à bulles et ensuite avec un amant avec lequel elle n’a actuellement plus de contact. Elle n’éprouve plus de désir pour Julien et vit douloureusement ses sollicitations, qu’elle repousse.

En bref, le couple a déserté sa conjugalité et ne tiens plus que par un fil, celui de la parentalité. Comme les enfants vont bientôt quitter le nid, la crise émerge avec intensité.

L’accompagnement

Pendant une longue partie de cet accompagnement, Isabelle va vivre une immense culpabilité : elle se sent coupable dès que Julien souffre, dès qu’elle se refuse à lui sexuellement, dès qu’elle sort de son rôle attribué de « bonne épouse ». Elle a une représentation très définie, stéréotypée, de ce qu’elle doit faire ou être en tant que femme dans son couple, et aussi dans sa famille.
Elle va devoir accepter d’être qui elle est et d’écouter ses désirs plutôt que de correspondre à cette image de la femme parfaite véhiculée par la culture patriarcale, qu’elle a inconsciemment adoptée mais qui ne lui convient absolument plus…
Julien, quant à lui, va revisiter son rôle de conjoint et sa vision de la sexualité dans le couple.

Deux thématiques ont nécessité une attention importante :
La sexualité au sein du couple, qui va trouver une voie nouvelle, et les modèles véhiculés par la culture dominante.
Dans la foulée, le couple se réorganisant autrement, va aussi repenser son rôle parental pour redonner de la place à la conjugalité.
Par voie de conséquence, cette nouvelle cohésion du couple a apaisé les angoisses des enfants (qui sentaient la fragilité du couple conjugal), les soulager de leur rôle de garant du couple et soutenir leur autonomisation.

Mes questions et leurs réponses

Je leur ai envoyé un mail avec quelques questions.
Voici leur réponse :

« Bonsoir Christine,

Réponse dans ton mail initial.
Sorry pour le délai, mais nous étions occupés à être heureux 🙂

Bonne lecture et à ta dispo 🙂 »

  • Quels sont les points sur lesquels votre couple a particulièrement évolué pendant ce suivi ?

    Julien : la communication. Nous communiquons plus facilement, plus franchement sans attendre que la coupe soit pleine. Nous arrivons à trouver les mots, on dit les choses comme on les ressent plus facilement.

    Isabelle : nous sommes plus attentifs l’un à l’autre, le bien-être de l’autre compte autant que le bien être individuel. Les « choses » se disent, sincèrement, en toute bienveillance. Je trouve bcp plus d’espace pour exprimer ce que je ressens. Fabien est bcp plus présent dans ma vie professionnelle, à la maison, je peux compter sur lui pour tout.
  • Quelles transformations personnelles ont été nécessaires pour permettre cette évolution du couple ?

    Julien : il a fallu une ouverture d’esprit et une remise en question profonde. Mon sens des priorités a complètement changé. Je suis plus orienté couple /famille alors qu’avant c’était la sécurité financière qui primait au travers du travail. Et je palliais au travers du golf presque uniquement.

    Isabelle : j’ai trouvé plus de place pour exprimer ma façon de penser et donc, c’est comme si « ma » façon de voir avait maintenant de la valeur ou du sens. Je me sens entendue. Mon travail personnel aura été de lâcher prise, de faire confiance, de faire de la place à Fabien à nouveau dans ma vie. Accepter que nos chemins se recroisent. Un travail sur une confiance à établir sur notre devenir. J’ai dû ouvrir les yeux sur l’homme que Fabien est devenu.
  • Qu’est-ce qui vous a donné la force de traverser cette crise ensemble ? Qu’est-ce qui a créé assez de sécurité pour que cette traversée soit possible ? La posture du thérapeute vous a-t-elle aidés ?

    Julien : l’envie de ne pas gâcher autant d’année de vie et d’histoire commune m’a tjrs porté. J’ai voulu comprendre ce qui se passait, pourquoi c’est arrivé. La sécurité est venue du fait qu’on s’engage à deux dans le processus. Épaulés par une personne neutre et professionnelle avec qui le feeling et la confiance sont passés dès le premier contact. Le fait que tu précises que l’objectif et l’issue de cette thérapie pouvaient aussi bien être la séparation que le début d’une nouvelle ou seconde ou suite d’histoire.

    Isabelle : idem 🙂 Julien y a cru pour 2 au départ. Nous méritions de faire ce travail. Après toutes ces années de vie commune. Tu m’as été d’une grande aide, j’ai trouvé en toi de l’écho sur ma façon de penser. J’y ai puisé de la force et de la confiance. Je me sentais en sécurité. Et j’ai pu redécouvrir Julien au fur et mesure du temps.
  • De votre point de vue, quels ont été les rôles essentiels de votre thérapeute durant cet accompagnement ? A quoi le thérapeute sert-il ? En quoi a-t-il aidé votre couple ?

    Isabelle et Julien : tu as apporté de la sécurité (tu as mis des bordures :)) tout en allant très loin dans les sujets que nous n’abordions plus tels que : la sexe, les enfants, leurs places dans la famille et dans le couple. Notre propre place dans le couple. Notre individualité. La place du travail de chacun dans le couple (surtout celui de Isabelle). Le thérapeute est tantôt modérateur, tantôt moteur, il questionne en toute bienveillance, il clarifie (rephrase les propos de chacun), il propose des pistes de réflexions, de travail, d’habitude à changer, de routine à modifier. Il pause un cadre tout en étant très flexible par rapport au mood du jour.
  • Et maintenant que la thérapie est finie (depuis plus de trois mois), qu’est-ce qui a changé pour votre couple ?

    Julien : je fais toutes les tâches ménagères :):):) (rires). Plus sérieusement, Je me sens soulagé de ne plus avoir ce poids de vivre avec cette crainte que tout s’effondre. Je profite du moment présent et de chaque instant. Je veille à tjrs remettre l’importance là où elle doit être et je me sens plus léger.

    Isabelle : il fait toutes les tâches ménagères (rires). Très sérieusement, il m’aide bcp plus à la maison, de manière à ce qu’on puisse plus profiter de moment ensemble le week-end ou le soir. De manière à ce que je puisse m’accorder du temps aussi pdt le week-end. Je me sens écoutée, je me sens exister en tant que personne à part entière. Je me sens bcp plus libre dans ma façon de voir et ressentir les choses. J’ai plus de « place » de « valeur ».
  • Votre couple continue-t-il à évoluer ? Si oui, de quelle façon ?

    Isabelle : oh oui, il y a bcp plus d’écoute, de douceur, de rires, de joies, de légèreté.

    Julien : idem 🙂 on continue à « grandir » ensemble. Nous restons attentifs à ce que des « mauvaises » habitudes ne soient pas reprises, nous sommes chacun à notre tour les « garde-fou » de notre couple.

    Isabelle : je suis heureuse d’avoir fait ce travail. Je pense que chaque jour je remercie je ne sais qui ou quoi de l’avoir fait. Il nous a rendu meilleurs, plus forts, plus liés, plus heureux, plus aimants. On peut être fiers de nous. Ça a été un gros travail, pas facile, perturbant parfois, mais, je ne voudrais pas ne pas l’avoir fait. Sans ce travail, nous aurions probablement finis bcp moins heureux.

En guise de conclusion

J’ai envie, pour conclure, de partager combien je leur suis reconnaissante de m’avoir confié leur point de vue, de m’avoir fait part de ce qui forcément m’échappe dans l’intensité d’un accompagnement de couple : leur regard sur ma posture et leur vécu par rapport à ma manière d’intervenir. C’est une première pour moi et leur feedback est précieux et instructif.
Je tiens également à souligner que les conditions dans lesquelles s’est déroulé cet accompagnement ont été particulièrement favorables et nous avons pu le mener à son terme sans difficultés importantes. Les circonstances ne sont pas toujours aussi clémentes.

(Les signes distinctifs des personnes et situations qui ont inspiré cet article ont été modifiés.)

Lever le voile des conflits et solutionner un problème de gouvernance.

Lever le voile des conflits et solutionner un problème de gouvernance.

Une histoire familiale

Gaston a travaillé dur toute sa vie. Il s’est accroché à son projet, s’est battu comme un lion, son épouse à ses côtés, pour développer son entreprise, nourrir sa famille et aussi transmettre quelque chose à ses enfants.

Ce quelque chose, ce sont deux entreprises, fruits de son labeur acharné.

Mais tout ne s’est pas passé comme prévu.

A tel point que la famille est rongée par les conflits.

L’appel au secours

C’est Cathy, la « petite dernière » de 41 ans, qui m’appelle.
Ses propos sont confus. Je lui propose alors de venir jusqu’à mon bureau pour m’expliquer posément ce qui la secoue de la sorte.

Le jour dit, elle est encore dans un état de grande agitation qui rend ses explications difficiles à suivre. Nous prenons un moment pour faire baisser l’anxiété par un bref exercice de respiration consciente.
Elle me relate une situation de tension intense dans les liens familiaux, au point que les réunions familiales sont progressivement devenues intenables et n’ont actuellement plus lieu.

Cette situation afflige fortement ses parents et elle me demande de trouver une solution pour apaiser les conflits. Sa maman rêve de pouvoir à nouveau réunir ses enfants dans un climat serein.

Elle m’explique l’histoire de l’entreprise familiale, sa composition, ses particularités. Un schéma, préparé par ses soins, m’offre une première approche de la situation. C’est une très bonne base de travail pour moi. Nous nous appuyons sur ce schéma pour tenter de comprendre les différentes relations intrafamiliales et éclaircir les rôles de chacun au sein des entreprises : qui s’entend avec qui, qui est en conflit avec qui, sur quel sujet, qui travaille avec qui, avec quelles compétences et quelles difficultés, …

C’est un véritable imbroglio et les explications qui me sont fournies par Cathy ne me permettent pas encore d’identifier clairement la ou les sources de conflit.

Une première étape pour y voir plus clair

Cathy me demande de les aider, mais les moyens d’y parvenir sont retreints car la famille est repliée sur elle-même, sur sa souffrance. Impensable donc, dans un premier temps, d’organiser une réunion plénière. Je propose alors d’établir un « diagnostic intersubjectif » en récoltant les témoignages de chaque membre de la famille, de manière à rassembler les éléments pouvant me permettre de comprendre ce qui dysfonctionne et crée de telles tensions. Cette option semble la seule possible.

Cathy va ainsi contacter chacun des membres de la famille impliqué ou impacté par la situation. Cela recouvre le couple parental, les quatre enfants, les conjoints des enfants. La génération suivante ne sera pas incluse dans ce processus.

Cette étape demandera du temps. L’organisation des rendez-vous est difficile, et les informations de contact me parviennent très lentement. L’intensité des tensions semble avoir rendu tout mouvement d’ouverture terriblement pénible, comme si toute cette famille était embourbée et incapable d’agir, de s’ouvrir et de participer activement.

Lorsque les entretiens individuels débutent, ma compréhension des enjeux familiaux se fait plus précise au fil des échanges, mes questions aidant mes interlocuteurs à me fournir des informations utiles.

Ce qui apparaît : c’est au cœur de l’entreprise que se trouve le nœud du conflit !

Plusieurs points de cristallisation des conflits sont apparus au cours des différents entretiens mettant au jour un écart manifeste entre le fonctionnement de l’entreprise tel que décrit par les statuts et la réalité vécue par ses membres.
Cette distorsion crée alors un décalage entre ce qui est attendu des uns par les autres et la réalité, induisant un climat de forte tension entre les membres de la famille.

Dans ce contexte, les  conflits émergent facilement et atteignent une ampleur telle que plus aucune communication sereine n’est possible et plus aucune décision collégiale ne peut se prendre.

Des décisions qui devraient être prises collégialement sont prises individuellement, engendrant, de ce fait, davantage de tensions encore.

Enfin, le fonctionnement actuel de l’entreprise ne respecte ni ses propres statuts ni certains prescrits légaux, ce qui laisse les membres de l’entreprise démunis, faute d’un cadre clair pouvant servir de point de repère à la résolution de conflit.

Comment en est-on arrivé là ?

La transmission intrafamiliale d’un dirigeant unique (Gaston, dans ce cas-ci) à un système collégial de prise de décision (la fratrie, ici composée de quatre enfants) n’a pas fonctionné. La collégialité prévue dans les statuts s’est muée en système hiérarchisé, cette transformation n’ayant fait l’objet d’aucune explication ou consensus au sein de la famille et d’aucune traduction statutaire.

Et ensuite, que fait-on ?

A ce stade, nous proposons une réunion aux membres de la famille qui sont associés au sein de l’entreprise, c’est-à-dire qui détiennent des parts de l’entreprise et/ou y ont un poste d’administrateur.

Cette réunion a pour but d’expliquer ce qui crée les conflits et la manière dont nous avons pensé un accompagnement sur mesure pour sortir de l’impasse. Celui-ci comportera deux axes majeurs. 

Dans un premier temps, il s’agira de revenir ensemble sur les éléments qui suscitent des réactions émotionnelles intenses au point de bloquer toute communication et possibilité de solution. L’objectif est de donner de la place, en toute sécurité, à la confrontation saine et utile des idées afin de développer la coopération.

Les aspects légaux devant être respectés, ainsi que ceux ayant trait à la gouvernance de l’entreprise en général et à la résolution des conflits en particulier, seront également abordés.

Seront également évoqués les principes de base de bonne gouvernance ainsi que la question des conflits familiaux qui prennent naissance dans la vie privée et dans l’histoire familiale et qui encombrent les échanges professionnels.

L’objectif est de donner de la place, en toute sécurité, à la confrontation saine et utile des idées afin de développer la coopération.

Ensuite, nous aborderons les différentes options qui s’offrent à eux pour apaiser la situation actuelle et poser de nouveaux principes de fonctionnements.

Selon le choix opéré, un accompagnement pourra alors être mis en place avec plusieurs intentions-clés.

Il s’agira d’améliorer les conditions de la prise de décision par une formation des membres de l’entreprise aux principes de base de la gouvernance. Leurs décisions seront ainsi conformes aux prescrits légaux régissant le fonctionnement de l’assemblée générale des actionnaires et de l’organe d’administration (ou conseil d’administration).

Un accompagnement les aidant à communiquer davantage et de façon plus constructive au sein de l’entreprise, et si nécessaire en-dehors de celle-ci, sera également un point important du suivi proposé.

A titre temporaire, un espace de parole sera ouvert pour exprimer et apurer les différends familiaux afin qu’ils ne puissent plus avoir de répercussions délétères sur la sphère de l’entreprise.

Enfin, un ou plusieurs documents écrits pourraient être établis,  régissant leur mode de fonctionnement et rappelant les dispositions légales applicables, en vue d’éviter ultérieurement toute tension inutile. Ce type d’écrit offre en effet un cadre, ainsi que des modalités auxquelles se référer, ce qui pourrait s’avérer crucial en situation de crise.

Les objectifs poursuivis

  • Améliorer les conditions de prises de décisions
  • Respecter les dispositions légales obligatoires
  • Communiquer utilement dans et hors entreprise
  • Augmenter l’efficacité de la collégialité

(Les signes distinctifs des personnes et situations qui ont inspiré cet article ont été modifiés.)

Concilier un duo de frères en pétard !

Concilier un duo de frères en pétard !

Cette situation est la première qui m’ait été confiée. A l’époque, j’ignorais tout de la particularité des entreprises familiales.

Un conflit entre associés déteint sur l’ensemble de la famille

Brigitte a 47 ans et fait partie d’une famille de 5 enfants.

Deux de ses frères sont codirigeants d’une société de services. Suite à une brouille familiale, ils sont dans une situation qui semble inextricable : ils sont quasi dans l’incapacité de s’adresser la parole, ce qui rend le travail de terrain ainsi que la gestion de l’entreprise très difficiles.
Les réunions familiales, devenues explosives, sont depuis peu désertées.

Brigitte est impactée à différents niveaux par la situation : elle souffre de voir ses frères en conflit et tente de soutenir ses parents, et en particulier sa maman, désespérée par la tournure qu’a pris ce désaccord qui envahit toute la sphère familiale.

Elle connaît mon parcours professionnel et estime que mes compétences de psychothérapeute relationnelle et de juriste sont susceptibles d’aider ses deux frères. J’accepte que mes coordonnées leur soient transmises afin d’établir un premier contact et de recueillir des informations sur leur problématique.

Premiers rendez-vous : de l’émotionnel et du juridique

C’est le fondateur, Victor, qui me contacte. Je le reçois rapidement, avec pour objectif de récolter des informations susceptibles de m’éclairer sur la situation, en croisant les aspects juridiques et humains. Il sera aussi question d’offrir à Victor un lieu d’écoute pour déposer la souffrance qui le mine.

Spontanément, Victor me parle de sa famille, de sa place dans la fraterie, de son lien avec ses parents, de comment il a fondé l’entreprise puis proposé à son frère, Jules, alors dans une impasse professionnelle, de l’y rejoindre en lui offrant une place quasi équivalente à la sienne. Il me dit combien il est blessé par l’attitude actuelle de son frère, qui réveille d’anciennes blessures familiales.

Il se sent incapable de poursuivre leur collaboration, est conscient de se trouver dans un état émotionnel débordant, et craint de prendre une décision trop peu réfléchie et préjudiciable à l’entreprise.

Je demande à Victor de me fournir les statuts de la société ainsi que le contrat d’agence qui la lie à une enseigne connue. J’ai besoin de saisir la toile de fond juridique ainsi que les enjeux, notamment financiers, en présence.

Victor et moi allons analyser les possibilités de sortir de la collaboration avec son frère ainsi que les impacts sur leurs situations financières ainsi que sur la santé de l’entreprise. Il s’agit d’envisager cette option comme une des multiples possibilités, non comme la solution absolue.

Dans le même temps, nous avons comme but de faire redescendre et d’apaiser l’intensité émotionnelle qui entrave la capacité de Victor à collaborer avec Jules. Cet objectif est intéressant car il rend au binôme sa capacité de collaboration et de co-construction, quitte à ce qu’un de leurs choix puisse être de mettre fin à cette collaboration.

Restaurer le duo de frères

Lorsqu’il semble y avoir de la place pour cela, c’est-à-dire quand Victor a retrouvé une sérénité émotionnelle suffisante, nous envisageons une rencontre avec Jules.
Il nous apparaît essentiel de restaurer la capacité de dialogue et de cogestion du binôme.

La perspective de cette rencontre est anxiogène et nous prenons le temps de la préparer avec soin, dans le respect du rythme de Victor. Lorsqu’il s’en sent prêt, il sollicite son frère qui répond favorablement à l’invitation.
Nous pouvons poser le rendez-vous !

Un nécessaire et délicat premier rendez-vous avec le duo

L’entretien qui rassemble Jules et Victor démarre prudemment et révèle un aspect inattendu : Jules semble très peu conscient de la souffrance qu’il a générée chez son frère. Il n’arrive pas à en prendre la mesure.
Malgré cela, l’entretien permet de renouer le dialogue entre eux, de mettre des mots sur leurs vécus respectifs, de sortir progressivement de la blessure relationnelle. Nous avançons à petits pas, précautionneusement. Je cadre beaucoup cet échange : pas question de risquer de réveiller la douleur or la situation reste sensible.
Progressivement, une nouvelle sécurité s’installe dans leur communication et je sens le lien se retisser.

Une base relationnelle solide restaurée

Quelques autres rendez-vous seront nécessaires pour consolider ces bases nouvelles. Les deux frères reconstruiront leur capacité de cogestion et pourront s’appuyer sur celle-ci pour avancer. Différemment, probablement. Ensemble ou pas, selon leur choix.

(Les prénoms et signes distinctifs des personnes et situations qui ont inspiré cet article ont été modifiés.)

Couple: quand la communication s’emballe!

Couple: quand la communication s’emballe!

Nombreux sont les couples qui se reconnaissent des « problèmes de communications ».
Et bien souvent, ils ont l’impression de se parler correctement, de se dire les choses, ils se parlent volontiers, ils ont parfois participé à des séminaires de Communication Non Violente (CNV).
Et pourtant…

Un accompagnement sur mesure peut-être nécessaire.

Voyons ce qui peut mener à l’impasse dans la communication, en nous appuyant sur les travaux du systémicien Paul Watzlawick.

1. On ne peut pas ne pas communiquer !
Même quand on ne dit rien, on dit quelque chose, le silence parle. Mais aussi : notre attitude corporelle, l’émotion qui se lit sur un visage, mon positionnement dans la pièce, les mouvements du corps, le bruit que je fais (volontairement ou non), un parfum… même mon absence est signifiante.
En bref, nous communiquons constamment, que nous le voulions ou non, que nous en soyons conscients ou non. Ce qui ne signifie en rien que nous nous comprenons !
Face à moi, Corine est assise sur le bord du canapé, les jambes serrées et emmêlées, le regard tourné vers le sol. Raoul, lui, est installé au fond du même canapé, jambes largement écartées. Il me regarde droit dans les yeux. Pas un mot n’est échangé. Trouvez-vous vraiment que rien ne se dit dans ce silence ?

2. Toute communication présente deux aspects : le contenu (une information) et la relation (la façon dont chacun des protagonistes va tenter d’influencer par le biais de sa communication). Il s’agit ici de la forme de la communication, de sa tonalité, de ce qui va lui donner un sens au-delà du seul contenu.
Je peux prononcer exactement les mêmes mots (« prends ton manteau ») et donner un sens très différents à la situation en les prononçant de façon douce et lente (mon message est pacifiant, serein, égalitaire), ou au contraire rapide et agressive (par ce biais, j’exprime un mécontentement, ou je tente de hiérarchiser la relation en prenant le dessus par une injonction directe et sèche). Je peux également prononcer les mêmes mots sur un ton plaintif, ce qui va me mettre en position « basse » dans l’échange.
Par ailleurs, je peux créer de la dissonance si mon langage oral et mon langage corporel sont antagonistes.
Julie, le visage fermé, est interpelée par son compagnon, Roland, lui demandant « ce qui se passe ». Elle se détourne et lui répond : « rien ! » sur un ton énervé.
Il y a fort à parier que Roland va se douter qu’il n’y a pas tout-à-fait « rien ».

3. La communication humaine utilise simultanément deux modes de communication : digital et analogique.
Le mode digital se veut factuel, objectif. (Il est 15h12).
Le mode analogique, lui, donne un sens particulier, symbolique et subjectif à l’information. Si les deux interlocuteurs ont un référentiel commun, la communication sera efficace.
Par contre, si les référentiels sont distincts et que nous n’en sommes pas conscients, c’est l’impasse.
La pendule indique 12 :00 (digital). Monique dit : « il est midi ! ». Elle se dépêche, elle va rater son premier cours de yoga si elle traîne (mode analogique : midi a, ce jour-là, un sens particulier pour Monique) !
Georges la regarde passer la porte les bras ballants, pris de court, l’estomac dans les talons. « J’ai faim, moi ! ». Midi, c’est l’heure de manger (analogique), et tu n’as pas préparé le repas ?
Le référentiel est clairement différent chez l’un et l’autre.
Ils se feront la tête jusqu’au lendemain.

4. La nature d’une relation dépend de la ponctuation des séquences de communication entre les partenaires.
Il existe une co-influence des deux interlocuteurs, qui donne du sens à l’échange. La subjectivité de chacun colore l’échange parfois jusqu’à le bloquer.
Cette ponctuation subjective et parfois non consciente, crée un cycle vertueux… ou un cycle vicieux qui mène à l’impasse.
Il a élevé la voix pour s’adresser à elle, elle s’est refermée et ne dit plus rien. Il tente de rester calme. Il est vite agacé quand elle a cette attitude. Et plus il s’énerve, plus elle se replie. Et plus elle se ferme plus il perd patience !

5. La communication est soit symétrique, soit complémentaire.
Symétrique, elle tend à minimiser les différences, à déhiérarchiser l’échange et de ce fait la relation est plus « horizontale ». Cela favorise le partenariat.
Complémentaire, elle appuie sur les différences et donne une hiérarchie à l’échange (position basse/haute).
L’interaction influence donc les positionnements de l’un par rapport à l’autre. Poussée trop loin d’un côté ou de l’autre, c’est le risque d’une impasse.
En effet, trop d’horizontalité mène à la rivalité, trop de hiérarchie génère, quant à elle, de la distance, au point parfois de ne plus se retrouver.

Ces 5 points d’attentions nous montrent bien combien la communication se joue dans l’entre-deux du couple. Une bonne partie des impasses communicationnelles résultent en quelque sorte des distorsions langagières entre les interlocuteurs, entre ce que l’un croit dire et ce que l’autre en comprend. Ajoutons à cela l’importance, la sensibilité et l’émotionalité du lien d’attachement entre conjoints, qui rend le terrain communicationnel entre eux spécialement sensible et l’analyse des schémas dysfonctionnels difficile.

Il est également intéressant de constater qu’une communication réussie est l’affaire des deux interlocuteurs. La communication est une co-construction, elle nécessite du temps, de l’attention à l’autre et la volonté réciproque de comprendre les cadres de référence de l’autre.

Alors, que faire ?

Je crois que le fait de prendre conscience que de telles distorsions existent est un premier pas.
Un second est de prendre le temps, ensemble, de ralentir les échanges, surtout lorsqu’ils deviennent houleux.
Fixer quelques règles de fonctionnement pour mieux communiquer sur les sujets « qui fâchent » :
– Trouver un moment qui convienne à tous deux, pendant lequel on sera disponible (ni dérangés par les enfants/le téléphone/le travail ni trop fatigués) pour rouvrir le débat.
– Parler plus lentement qu’à l’accoutumée, reformuler ce que chacun comprend de ce que l’autre dit.
– Faire des pauses si le ton ou la tension monte.
– Interrompre si l’on sent que l’on ne s’en sort pas, sans incriminer l’autre.
– Adopter volontairement une attitude de bienveillance l’un envers l’autre avant, pendant et après.
– S’aider par la lecture commune d’un livre de référence, si possible comprenant des exercices pratiques.

Dans certains cas, l’intervention d’un tiers – dûment formé à une posture facilitatrice adéquate – sera nécessaire.

Pour en savoir plus sur l’accompagnement ou la thérapie de couple!

Quelques livres de référence :
– Rosenberg Marshall, La communication non violente au quotidien, Jouvence, 2017.
– Sauzède-Lagarde Jean-Paul et Anne, Entre câlins et tempêtes – créer un couple durable, InterEditions, 2005.
– Vidal-Graf Serge et Carolle, Comment bien se disputer en couple, Jouvence, 2005.
– Watzlawick P., Helmick J., Une logique de la communication, Le livre de poche, 1979.